Société digitalisée : « Il faut reconnecter les individus entre eux »

Société digitalisée : « Il faut reconnecter les individus entre eux » (1/2)

A travers son expertise à l'international, Stéphane Vial, COO de Dailyn, dessine les contours de l'avenir du commerce

Photo de passage piéton

Passionné par l’innovation, Stéphane Vial s’est investi pendant vingt ans dans l’évolution et la transformation digitales de grandes entreprises, parmi lesquelles Leroy Merlin. Après des débuts précurseurs aux heures timides d’Internet et un passage par le monde publicitaire, cet amoureux du voyage s’est spécialisé dans le commerce à l’international. Un domaine qui l’a amené à s’expatrier en Italie puis en Chine où il a pu être le témoin direct de nouveaux usages et de nouvelles façons de consommer.

Convaincu que l’innovation va de pair avec le progrès social, Stéphane Vial a rejoint l’aventure Dailyn depuis août 2021 en tant que Chief Operating Officer. Il partage aujourd’hui sa vision sur le futur de nos usages digitaux quotidiens et plus particulièrement sur le commerce conversationnel - mode de consommation en plein essor et pressenti pour être une étape essentielle dans l’avenir du commerce. Entretien (première partie).

Photo de Stéphane Vial à Lille

Vous avez vécu pendant 2 ans en Chine. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans les comportements de consommation ?

Stéphane Vial : En Chine le commerce est très digitalisé, c’est ce qu’on peut appeler une économie "post-digitale" - c’est une économie qui a fait sa transformation. En 2002, la pandémie du SRAS, a obligé les Chinois à vivre plusieurs mois chez eux. Il a donc fallu digitaliser à grandes forces et c'est ce qui a imposé de nouveaux usages. Comme quoi, l’histoire conditionne toujours le commerce. Résultat, aujourd'hui, quand on se promène en Chine, les magasins semblent vides et pourtant de nombreux vendeurs sont à l'intérieur. Comprendre ce phénomène est simple : une partie du parcours client est digital. Le passage en magasin offre une expérience client plus personnalisée et centrée sur le conseil, en termes de choix ultime.

Photo de jour de Pékin

Comment avez-vous vécu vous-même cette digitalisation au quotidien ?

J'ai vécu en Chine sans parler la langue et sans savoir l'écrire ni la lire. J'ai pu vivre malgré ça de manière extrêmement dense grâce à deux applications : WeChat (la super-app) et Didi (le Uber chinois). J’ai pu aller exactement où je voulais en autonomie, j’ai pu discuter avec des gens et régler tous mes problèmes grâce à mon réseau de connaissances. Et c’est à partir de ce moment que j’ai compris la puissance que pouvait avoir le commerce conversationnel : vous chattez et c'est réglé.

Peut-on parler de commerces de proximité en Chine ?

Dans une ville de 26 millions d'habitants comme Pékin, on ne peut pas parler de proximité au sens européen du terme. Mais le commerce local existe tout de même. Il est présent sous la forme d'un réseau de contacts de confiance construit au fil des rencontres. Dans WeChat, nos contacts sont des personnes que l'on connaît vraiment, ou qui nous ont été recommandées, et qui nous proposent des solutions contextualisées au lieu où nous nous trouvons.

Photo de rue en Chine

Peut-on réellement transposer ces nouveaux usages en Europe ?

Les Chinois ont vécu une histoire du commerce différente de la nôtre, une histoire qui les a amené à sur-développer la partie digitale et, dans cette partie, la partie conversationnelle. En Europe, ça ne fonctionnera pas de manière identique car nous avons une culture et une histoire différentes. En revanche, le commerce conversationnel bénéficie à l'individu de la même manière : il apporte la possibilité à l'usager de prolonger et d’enrichir une relation grâce au digital et permet au commerçant de développer des ventes personnalisées ou complexes sans maîtrise technologique particulière.

Pourquoi parlez-vous d'ère post-digitale ?

À mon sens, les temps modernes de l'e-commerce, dans le sens industriel du terme, touchent à leur fin. Il y a eu l'étape des pionniers, ceux qui ont repoussé les frontières et instauré des modèles avec leurs qualités et leurs défauts. Désormais, les pionniers se civilisent. On se rappelle que si on a défriché des nouveaux territoires, c'est pour que les gens s'y installent. L’économie, une fois passé le modèle productiviste, doit se recentrer sur l’individu. Il s'agit de revenir à quelque chose où l'on replace l'humain au centre, et donc logiquement il faut le replacer là où il vit. Nous arrivons à une ère où nous allons plutôt connecter des personnes responsables entre elles. Il est temps de récolter les fruits de la digitalisation de la société.

Photo d'une main tenant un smartphone

Quels sont les grands angles de cette nouvelle ère ?

Ils tournent autour de trois choses fondamentales : la première, c'est le lien de confiance entre des gens responsables, qui est très fort puisqu'il y a un engagement. Ce lien est d'ailleurs expansible, c'est à dire que lorsque l'on recommande une personne à une autre, la confiance se transmet.

Le deuxième, c’est que le commerce conversationnel permet de donner de la place à ce qui n’est pas programmé. Grâce la parole tous les individus ont la possibilité de résoudre une infinité de problématiques, contrairement à un chatbot ou un process automatisé, ce qui simplifie l'échange.

Et enfin, comme on peut étendre la conversation à deux, à trois, voire plus, ce qu'il y a de magique c'est que cela va donner la possibilité d’inter-opérer des services. Il sera, par exemple, possible d’ajouter un livreur à une conversation d’achat d’un parquet et de se mettre d’accord, très vite, pour des livraisons complexes. Ces trois éléments réunis vont aboutir à une notion essentielle, à savoir, la facilité. Je crois que quand on donne de la facilité, quand on fluidifie l’échange, cela libère les énergies. Les choses deviennent faisables, alors qu’avant cela elles étaient compliquées.

Photo de groupes d'amis dans un bar

Pourquoi le commerce conversationnel est, selon vous, le futur pour les commerçants de proximité ?

Par expérience, je peux dire que la plupart du temps, le client ne sait pas ce qu'il veut précisément. Il a bien une idée de son projet mais il ignore une bonne partie du chemin pour y arriver. Et cette partie-là naît de la conversation. Le fait d'avoir quelqu'un avec qui on choisit son produit, qui vous conseille, cela tient du savoir-faire d'individus et ça n'est pas forcément en s'adressant à une intelligence artificielle que l'on va y arriver. En revanche, l'analyse de la donnée va servir chaque individu : elle va être facilitatrice de leurs discussions.

La digitalisation est-il synonyme de déshumanisation des commerces ?

Non, justement. L’enjeu du commerce conversationnel est de remettre le couple vendeur-acheteur, l'humain, au centre du jeu. L’idée est de favoriser une relation humaine et directe, plutôt que de l'intermédier avec des machines.

La perspective est de trouver une autre façon d’utiliser les outils digitaux, pour privilégier l'échange entre individus responsables - une relation de confiance, une relation conversationnelle - qui permet d’adapter ce que l’on cherche en termes de produit, de service, de passion. En personnalisant la relation commerciale, on la rend plus efficace et plus humaine.